Michel Sailla est un ancien inspecteur régional
à la Direction Nationale du Renseignement et des Enquête Douanières
LA FORTERESSE DE MONTMEDY EN AOUT 1914
Funeste destinée de la garnison et de la compagnie de douaniers.
En cette année du centenaire du début des hostilités de la grande guerre, il est de notre devoir de raviver la flamme du souvenir sans omettre les réalités de l'Histoire.
Animé par l'exigence de mes deux entités, douanière et montmédienne, ma participation à la rédaction de cet article prend tout son sens par la présence, en août 1914, d'une compagnie de douaniers de forteresse au sein de la garnison de la place de Montmédy. Afin d'appréhender l'histoire de cette place et des hommes qui l'ont composée, un bref rappel de la bataille des frontières et de son influence sur la destinée de cette forteresse paraît nécessaire.
Grâce à l'Office du Tourisme Transfrontalier du Pays de Montmédy et de son président Jean Chevalier nous pouvons publier cette page d'histoire écrite par cette garnison, rapportée par le lieutenant-colonel Faurès ancien gouverneur de Montmédy, le capitaine de réserve Julliac, le général allemand Von Moser, le témoignage anonyme recueilli par Paul Evrard et le compte-rendu très précis du brigadier des douanes Jules Dogny. Enfin, Jean Clinquart, dont nous avons tous connu son exigence et sa rigueur, nous a apporté, par son ouvrage « L'administration des douanes en France de 1914 à 1940 » les détails concernant cette unité douanière.
Bâtie sur un promontoir de 380 mètres d'altitude, entre Longwy et Sedan, à 5 kilomètres de
le frontière belge, la place de Montmédy surplombe la rivière la Chiers, la voie ferrée descendant la vallée ainsi que les routes se dirigeant vers Sedan, Stenay et Verdun. En août 1914, cette voie ferrée reliait les gisements miniers de Briey/Longwy aux usines sidérurgiques installées dans la vallée de la Chiers jusqu'à Sedan. Trois tunnels étaient empreintés, dont le plus important, long de 835 m, traverse la colline sur laquelle est construite cette forteresse. Sa position stratégique avait déjà été mise à l'épreuve lors de la guerre de 1870, après la capitulation de Sedan, par un blocus de 92 jours et 2 terribles bombardements les 13 et 14 décembre 1870.
La défaite de 1870 généra une refonte complète de l'armée française par la création, en imitant le modèle prussien, du « plan de mobilisation et de concentration » avec d'abord, le passage à la circonscription en 1872, puis la création en 1873 des « régions de corps d'armée ». Ce premier plan, mis en application en 1875, prévoit le transport, le déploiement et l'organisation de l'armée française. L'évolution de la situation internationale imposait des mises à jour régulières d'où l'empilage de plans successifs jusqu'en 1914 et l'entrée en vigueur du 17e plan le 15 avril 1914.
(plan approuvé le 28 mai 1914 par le général Joseph Joffre, chef d'Etat-Major général).
MISSIONS DE LA FORTERESSE DE MONTMEDY
C'est dans ce cadre que la dépêche ministérielle 3731 1/11 du 6 avril 1909, rappelée en partie dans le mémoire de 1910, a défini le rôle de la forteresse de Montmédy :
« En l'état actuel de l'armement et de la fortification, la place de Montmédy n'est pas susceptible de soutenir un siège ; elle est simplement appelée à servir de point d'appui aux troupes opérant dans la région :
- 1° pendant la période de couverture,
- 2° pendant la période des opérations actives.
- La place doit, en outre, assurer la protection de la voie ferrée et du tunnel. Le gouverneur ne doit dans aucun cas rendre la place avant d'avoir assuré la destruction du tunnel. Cette destruction ne peut être ordonnée que par le commandant en chef, à moins que, par suite de circonstances exceptionnelles, le gouverneur n'ait à en prendre l'initiative.
- La garnison qui lui est affectée comprend un bataillon d'infanterie du 65e régiment plus une compagnie de dépôt créée à la mobilisation, un demi-bataillon d'infanterie territoriale, une batterie d'artillerie à pied, une demi-compagnie du génie territorial, une compagnie de douaniers de forteresse fournissant des postes de surveillance de la frontière, de petits détachements de chasseurs forestiers, infirmiers, etc., et enfin des auxiliaires de places fortes, soit un total de 2.500 rationnaires. Etc... »
Dès le 31 juillet 1914 (télégramme 129/11 du 31 juillet), l'appel à l'activité qui entre dans le
cadre du dispositif militaire dit de « couverture » place les douaniers, en situation qui n'est plus celle du temps de paix. Les postes fixes le long de la frontière relèvent du « premier appel ». En outre, comme la brigade des douanes de Chauvency-le-Château (10 km de la frontière), diverses unités de la région ont été désignées pour se rendre à la place de Montmédy afin de constituer une compagnie de douaniers de forteresse et participer à la défense de cette dernière. Cette compagnie, forte d'une centaine d'hommes commandée par le capitaine Ferrot, les lieutenants Klein et Laurent, s'est immédiatement mise sous les ordres du Gouverneur de la place afin de remplir les missions qui lui ont été assignées par la dépêche ministérielle précitée. Début août le gouverneur de la place âgé et fatigué est remplacé par le lieutenant-colonel Faurès, du 91e régiment d'infanterie.
A partir du 2 août, les troupes de couverture se trouvant à 10 km de la frontière, les missions douanières commandées par le gouverneur consistent à patrouiller jour et nuit, dans la partie nord de la place. Le champ de surveillance s'étend du département des Ardennes à celui de la Meurthe-et- Moselle, en passant par les postes fixes habituels de Velosnes, Ecouviez, Thonne-la-Long, Breux et Thonne-le-Thil. A partir du 6 août un « service de sûreté » est également constitué avec des équipes de douaniers, de chasseurs forestiers, des patrouilles d'infanterie et de cyclistes qui s'avancent jusqu'à la frontière belge, voire au delà. Afin d'optimiser cette mission de surveillance dans cette région boisée et accidentée, le sentier des douaniers et ses lieux d'observation sont systèmatiquement exploiter. Quelques escarmouches ont lieu à partir du 9 août, avec des reconnaissances ennemies qui commencent à traverser les frontières. Le 16 août, les douaniers du poste fixe d'Ecouviez abattent un uhlan proche du village. A plusieurs reprises les patrouilles ramènent les armes de soldats allemands qu'elles ont réussi à abattre. Toutefois, aucun renseignement sérieux n'a été rapporté au gouverneur sur l'avancée et la composition des armées ennemies.
LA SITUATION GENERALE DE LA REGION
Depuis les premiers jours d'août, les troupes françaises affluent vers la frontière ; la IIIe armée (chef d'état-major Général Ruffey), s'échelonne de Montmédy à Verdun. Le Général de Langle de Cary, chef d'état-major de la IVe armée, couvre l'aile gauche de la IIIe armée jusqu'à Sedan. Le 14 août, lorsque la phase « concentration et déploiement » est terminée, débute les véritables opérations militaires et l'ultime phase du 17e plan, celles des offensives. Néanmoins le 15 août, depuis son entrée au Luxembourg le 2, en Belgique le 4, l'armée allemande n'a pas progresser.
Elle est toujours au contact de l'armée belge à Liège. Hormis les incursions de patrouilles de reconnaissance, aucun mouvement de troupe n'a depuis été observé.
C'est le 18 août, du GQG à Coblence, que Moltke donne le top départ de la manœuvre « Schlieffen ». Les cinq armées allemandes alignées entre Metz et Liège entament leur marche en avant. Celle au nord à grandes enjambées, celle du Kronpinz, à l'autre bout, peut se contenter d'unemodeste progression afin de respecter l'alignement de l'ensemble. Seul Wurtemberg (IVe armée ) avance ses premières troupes en Belgique. Le 21 août, la IIe armée allemande (général Von Bülow) est devant Charleroi, la IVe Armée allemande (Duc Wurtemberg) est devant Neufchâteau.
Contrainte à une progression mesurée afin de conserver le contact avec Metz la Ve armée allemande commence à bombarder Longwy et longe la frontière en direction des Ardennes belges. Le soir elle se situeà une vingtaine de kilomètres de Montmédy.
C'est suite à l'avancée des troupes allemandes que, vers le 19/20 août, l'ordre de marche est également donné par le général Joffre, commandant en chef des opérations. Devant les événements, il actualise le plan 17 en prévoyant d'attaquer au centre des forces allemandes entre Longwy et Sedan. Le soir du 20 août, il envoie aux IIIe et IVe armées, l’ordre de lancer, dans la nuit même, une offensive soudaine et violente dans le sud de la Belgique, entre les villes de Neufchâteau et celle d'Arlon (Province du Luxembourg). Montmédy étant pratiquement à la jonction des deux armées. elle voit passer, pendant deux jours et deux nuits, un défilé interminable de cavalerie, d'artillerie, de convois de toutes sortes ; tous les régiments se portent vers l'ennemi en Belgique. Le quartier général du 2e corps d'armée s'installe à Montmédy, le PC avancé de la IIIe armée à 10 km (Marville).
Le 22 août tout le sud de la province du Luxembourg s'embrase – Le canon ne cesse de
tonner au nord de Montmédy. C'est pas moins de 15 batailles qui se déroulent simultanément de Longwy à Neufchâteau (50 km), dont plusieurs à quelques kilomètres seulement de la frontière (Virton, Ethe, Meix-dt-Virton, Houdrigny, Jamoigne, Tintigny, Bellefontaine, Rossignol).
Malheureusement, nos troupes se heurtent aux effectifs considérables de l'ennemi déjà en position, supérieurement abrités et bien retranchés. L'élan généreux et l'ardeur imprudente de nos « pantalons rouges » et de leurs charges à la baïonnette échouent contre le feu de mitrailleuses et d'obus de l'ennemi. Beaucoup d'entre eux, blessés, sont ramenés à Montmédy par la ligne d'Ecouviez, en voiture à cheval, en automobile, sans avoir pu tirer un coup de fusil et sans avoir vu un seul allemand. Dans la nuit, nos troupes se retirent et alors commence cette retraite qui se prolongea jusqu'à la victoire de la Marne.
Cette offensive française du samedi 22 août 1914, au centre du front, se solde par un redoutable échec qui mis fin au 17e plan. Le bilan humain est catastrophique : 52 000 français tués ou blessés (29000 allemands). Cette journée restera la plus sanglante de l'histoire de l'armée Française.
LA RETRAITE
Aux convois plein d'allégresse des jours précédents, succèdent dans les rues de Montmédy
les convois de blessés et de Belges fuyant devant la barbarie de l'envahisseur. Les blessés reçoivent les premiers soins dans les locaux municipaux transformés en hôpitaux avant d'être dirigés sur Laon et Charleville ; seuls restent sur place les blessés non transportables. Le lendemain, quelques soldats d'infanterie de marine, en désordre, venant de Neufchâteau font un récit attristé de leur échec autour de cette ville. Les troupes de la garnison sont en alerte mais elles n'ont pas à intervenir. Seule l'unité douanière poursuit ses missions observation et de surveillance au nord de la place et aux postes fixes.
Les 23 et 24 août, le général en chef et le commandant de la IVe armée ordonnent de prendre, en raison de la situation, les mesures préparatoires à la destruction des ouvrages d'art importants de la région et de la place forte, en préparant le dynamitage des ponts sur la Chiers de Montmédy et de ses environs. Quant au tunnel de 835 mètres de long qui s'ouvre à cent cinquante mètres de la gare, il est miné de trois fourneaux reliés par un cordon détonnant permettant de provoquer une explosion simultanée.
A 11 heures, la gare de Montmédy recevait l'ordre d'évacuer tout son matériel et son personnel. Le soir même, il ne reste plus ni machine ni wagon; les garde-voies reçoivent à leur tour l'ordre de se replier; un train d'évacuation les emmène à la gare de Sedan qui évacua également quelques heures plus tard. Le lendemain 25, la retraite se poursuit vers la Meuse dans des conditions particulièrement difficiles dues à l'encombrement des routes occasionné par les convois d'artillerie et d'émigrants poussés par les deux armées allemandes (Kronprinz et Wurtemberg).
A 14 heures, une trentaine de cyclistes et uhlans venant du village belge de Gérouville sont
interceptés par onze douaniers de la brigade de Breux commandés par le sous-brigadier Triboulet.
Après un violent contact d'une heure et demie cinq allemands sont abattus et trois douaniers blessés.
Un détachement de la garnison de Montmédy venu en renfort a permis, après un engagement qui dura jusqu'à la nuit, de mettre l'ennemi en fuite. Les préposés Peltier, Curier et Léon François, blessés au cours de l'intervention ont été ramenés à l'hôpital de Montmédy et évacués sur celui de Laon.
Cependant, la retraite des IIIe et IVe armées va laisser la place de Montmédy abandonnée à ses propres forces. En raison de la proximité de l'ennemi, le gouverneur rappelle, le 26 août, les éléments de la défense mobile ainsi que les douaniers qui se trouvent en dehors de la forteresse. En fin de journée, apprenant que deux ponts sur la Chiers au sud de la place ont été détruits par le 2e corps après sa retraite, il demande au GQG s'il y a lieu de procéder à la même opération en ce qui concerne les ouvrages d'art préalablement minés. Les communications télégraphiques étant rompues, la place communique avec l'extérieur au moyen du fil souterrain qui la relie à Verdun. C'est un pigeon voyageur qui apporte ce même jour, la nouvelle concernant la chute de la forteresse de Longwy. Peu à peu le cercle ennemi continue à se resserrer autour de la place, le canon, qui s'entendait quelques jours avant vers le nord, tonne maintenant à l'est et à l'ouest de Montmédy.
LE DEPART DE LA FORTERESSE
Au cours de la nuit, arrive l'ordre du général en chef de faire jouer les dispositifs de mines préparés. Le tunnel et les ponts sur la Chiers sautent le 27 août à 5 heures. Le gouverneur réunit alors le conseil de défense, dont font partie les trois officiers douaniers, et, sur l'avis unanime de ses membres, après avoir rendu compte à 7 h 45, au commandant en chef des destructions opérées, il ajoute qu'en raison de la situation générale, le rôle de Montmédy lui semble être terminé. Il demande en conséquence des instructions sur la conduite à tenir afin d'éviter, comme à Longwy, une reddition à brève échéance. II est alors décidé de rejoindre les armées en campagne par tous les moyens après avoir opéré la destruction complète des approvisionnements et du matériel impossibles à emmener.
La réponse parvient au gouverneur vers 14 heures. Le général Joffre lui indique de considérer sa mission comme terminée, d'évacuer la place après avoir fait les destructions proposées et de tenter de rejoindre les armées françaises. Le gouverneur décide donc de s'échapper avec la garnison vers Verdun. Tout l'armement est mis hors d'état de servir, les stocks de poudre sont noyés, les approvisionnements en partie détruits et les archives brûlées.
A 19 heures, l'ordre de rassemblement est donné. Le gouverneur décide d'alléger la colonne trop imposante. Pas d'ambulances ni de brancards, pas de chevaux, un paquet de pansements par homme ainsi que 200 cartouches et 2 musettes avec cinq jours de vivres. Le personnel sanitaire comprenant notamment médecins-majors, pharmaciens militaires et infirmiers, reste à l'hôpital de Montmédy pour soigner les grands blessés provenant de la bataille de Belgique.
A 20 heures, tous les éléments de la colonne sont réunis sur la place d'armes soit environ 2300 hommes. C'est en colonne par quatre, lieutenant-colonel Faurès en tête, sans matériel ni bagage, que les 4 compagnies du 165e d'infanterie, la batterie du 5e d'artillerie à pied, les 9e et 10e compagnies du 45e territorial, la compagnie de douaniers de forteresse, des éléments du génie,gendarmes, forestiers et un détachement du 102e d'infanterie et coloniaux (éléments étrangers à la garnison) quittent la forteresse. La colonne traverse la ville-basse au milieu de la consternation générale, franchit le pont sur la Chiers, qui est détruit partiellement derrière elle, gagne la prairie et longe la voie du petit chemin de fer Montmédy-Damvillers-Verdun dans l'espoir d'atteindre cette dernière ville à l'abri du massif boisé qui forme cette partie de l'Argonne.
Quelques jours plus tôt, cette opération aurait pu se réaliser sans danger mais ce 27 août elle est périlleuse car l'armée du Kronprinz se dirige à marches forcées vers Stenay en contournant Montmédy, dans une direction perpendiculaire à celle de la petite troupe; leur rencontre est inévitable.
Dès l'entrée en forêt, la colonne longe la Chiers et croit entendre à proximité, un détachement allemand. Un certain désarroi se produit et dans l'obscurité plusieurs soldats tombent dans la rivière et se noient. Cet incident se reproduit à l'aube générant des à-coups et séparant involontairement des éléments du gros de la colonne. Toute la journée est employée à rester sous couvert des bois par prudence, car le bruit des convois allemands se fait de plus en plus entendre.
Afin d'échapper à la vue de l'ennemi et de leurs taubes, la traversée d'espaces découverts ne peut s'effectuer que la nuit.
BRANDEVILLE « TANT PIS POUR QUI TOMBE »
Le 28 août au matin, la petite troupe atteint le centre de la forêt de Woëvre, au lieu dit ''Fontaine Saint-Dagobert''. Après un long repos elle repart vers le sud pour tenter le passage de la Meuse à Consenvoye. Arrivée à proximité de la route allant du village de Murvaux à celui de Brandeville, ses éclaireurs lui signalent des mouvements de troupes ennemies. Elle s'arrête à couvert pour passer la nuit. Le lendemain 29 août, vers une heure du matin, le lieutenant-colonel Faurès réunit les officiers commandants d'unités pour leur donner ses instructions : « Les renseignements que je possède ne sont guère plus précis que ceux recueillis hier soir à notre arrivée à ce point. Le poste ennemi établi au carrefour des chemins de Brandeville à Murvaux et à Louppy est toujours en place. Les passages de convois ont cessé. Il nous faut traverser la route et chercher à gagner à nouveau le sud vers Consenvoye bien que je ne connaisse pas l'importance des forces qui sont devant nous. Le rendez-vous, après les diverses phases du combat, se fera aux fermes d'Alger et de Constantine. Messieurs, tant pis pour qui tombe. Bonne chance et à ce soir ! ».
A 4 heures, la garnison marche sur Brandeville. Le but de l'attaque est d'ouvrir une brèche
afin que les autres unités puissent s'engouffrer pour s'échapper vers le sud. Elle est engagée par les 4 compagnies du 165e à la sortie du bois sur la route allant du village de Louppy-sur-Loison à celui de Murvaux. Après l'effet de surprise, les forces françaises se heurtent, dans les bois voisins, à deux corps d'armée ennemis avec, contrairement à la colonne française, artillerie et mitrailleuses. Le feu terrible des mitrailleuses allemandes refoule les nôtres dans le bois avec d'énormes pertes. Les autres éléments s'engagent d'une manière décousue et une série de combats a lieu sans cohésion, dans la forêt et sur la route. La compagnie de douaniers se porte en avant et arrive à hauteur de la route, elle prend position à 100 m en arrière. Après avoir répondu au feu venant de la bordure du bois, elle la traverse, baïonnette au canon, le sergent-major Brulle en tête. C'est en entrainant sa
section qu'il est tué d'une balle en plein cœur. Ce même jour trois autres douaniers de cette compagnie sont tués, le brigadier Deville Henri et les préposés Marchal François et Cazes Lucien.
De nouvelles forces ennemies entrent bientôt en action et le combat se poursuit longtemps
encore, mais inégal. Le reste de la garnison, dispersé dans la forêt, traqué au milieu des tués et des blessés, vaincu par la fatigue et les privations, tombe aux mains de l'ennemi. Vers 9 heures, la petite troupe dont toutes les fractions sont dissociées, est encerclée de toutes parts et faite prisonnière.
Quelques éléments, résolus à se défendre jusqu'à la dernière limite, tentent, par un mouvement de repli, à échapper à la captivité.C'est au prix de fatigues et de privations considérables, par petits groupes, qu'une vingtaine d'hommes ainsi que le médecin-major du 45e territorial réussirent à franchir les lignes allemandes et à gagner Verdun. Parmi eux deux douaniers - le brigadier Dogny* et le préposé Vernel. Le brigadier Jules Dogny, en poste avant le début de la guerre à Chauvency-le-Château, par la suite sergent au 5e bataillon de douaniers 3e Cie, a posté le témoignage suivant : « Comme j'étais parmi les combattants, et un des rares qui n'a pas été fait prisonniers, je tiens à vous signaler la conduite héroïque de mon collègue Brule, brigadier des douanes à Montmédy, sergent-major à notre compagnie, qui fut tué d'une balle au cœur, face à l'ennemi, en entraînant sa section dans une charge à la baïonnette, à hauteur de la route de Murvaux. Tombé à mes côtés, je sais où son corps peut reposer et j'ai pu lui enlever sa montre comme souvenir d'un brave, tué au champ d'honneur.
Cette relique sera remise à sa famille par mes soins aussitôt que le pays où, malheureusement, cette dernière est restée, sera libéré de nos ennemis. ».
Certains réussissent à s'échapper, avec des destinées diverses - le préposé des douanes Joseph Carry, qui, blessé au cours de la bataille est retrouvé mort, le 3 septembre, à l'entrée du bourg de Fontaines-Saint-Clair où il a été inhumé (**). Le sous-brigadier Bourga Charles tué en septembre, le préposé Balteau Jules a également réussi à s'échapper, il est décédé aux armées le 6 octobre, les préposés Viotte Isidore et Jeunesse Jean également décédés aux armées quelques mois plus tard. Le douanier Baucard, arrêté à Murvaux par des artilleurs allemands, après que ces derniers lui aient arraché les bandes de son pantalon et les boutons de son uniforme, il réussit à gagner la forêt. Du 6 au 11 septembre il travaille pour un meunier qui l'aide à éviter la traque des allemands. Après avoir regagner successivement Bazeilles près Montmédy, Ecouviez et un village belge voisin, il réussit, quelques mois plus tard, à rejoindre Château-Thierry et le 5e bataillon de douaniers (3e compagnie).
D'autres petits détachements sont parvenus également à s'échapper parmi ceux-ci le brigadier des douanes Chavet, accompagné de cinq éléments du 165e dont un adjudant, un caporal du génie et un du 5e d'artillerie à pied. Ils ont vécu 55 jours en forêt, d'abord pendant 5 jours de leurs vivres de conserve, puis de pommes de terre arrachées dans les champs. Ils ont été pris et envoyé en Allemagne le 28 octobre rejoindre leurs camarades faits prisonniers sur le champ de bataille.
TRAGIQUE BILAN
Sur les 2300 hommes de la garnison de la forteresse de Montmédy, quelques six cent sont
tombés au cour de cette bataille (autant d'allemands). Ils ont été enterrés, sous la contrainte allemande, par les habitants des deux communes de Murvaux et de Brandeville. Pour une partie de ces poilus, le général allemand Von Moser a apporté le témoignage suivant : « …. Puis je vois des centaines de prisonniers français mis en rang pour être transportés à l'arrière. En allant plus loin, je vois un spectacle que je n'oublierai jamais de ma vie : les Allemands, par représailles, ont pris les fantassins français qui avaient infligé traîtreusement de si lourdes pertes à nos troupes, sous un feu rapide, de tous côtés, au moment où ils traversaient la route ; et, maintenant, sur la route et sur les côtés, comme moissonnés par une faux, gisent des cadavres français, dont j'estime le nombre à
trois ou quatre cents. ». 516 poilus reposent dans le cimetière militaire de Brandeville - 506 en fosse commune. De la centaine de douaniers de la compagnie de forteresse, cinq ont été officiellement tués au cours de cette bataille - leurs noms sont gravés au monument édifié en hommage aux héros de la garnison de Montmédy -, 87 ont été fait prisonniers, dont les trois officiers. Comme tous les prisonniers de la garnison, après avoir été regroupés ils ont embarqué à Longuyon pour les camps des trois villes allemandes de Stuttgart, d'Ulm et d'lngolstadt (fort IX d'Oberstimm pour les officiers - fort Hartmann pour les soldats). Le lieutenant-colonel Faurès qui avait été blessé légèrement à la main par une balle, a également été fait prisonnier. Il a été conduit au général allemand Von Fabeck, qui se trouvait avec son état-major à la lisière du bois de Louppy-sur-Loison, puis emmené au
quartier général du Kronprinz avant de rejoindre Thionville, Ingolstadt et les autres officiers de la garnison. Le capitaine de réserve Julliac de la garnison de Montmédy termine son récit concernant ces événements par les phrases suivantes : « Telle fut l'épopée d'une vaillante petite garnison sur laquelle on garda longtemps, en France, le silence par manque d'indications précises... ». Il poursuit en précisant : « Quant à ceux qui ont réussi à gagner Verdun après le combat, soit isolement, soit par petits groupes, ils sont peu nombreux. Mais ce sont des héros qui, bravant les fatigues et les privations, ont surmonté toutes les difficultés pour rejoindre les unités combattantes.
Devant eux, nous nous inclinons, car leur vaillance ne fut pas appréciée en haut lieu et, tout comme leurs camarades infortunés faits prisonniers, ils ont continué à rester dans l'ombre.» Les places sœurs, les forteresses de Longwy et Charlemont, obligées de se rendre après les terribles bombardements qu'elles ont subit, ont été citées à l'Ordre de l'Armée pour résistance héroïque. Et c'est justice. Quant à la place de Montmédy, malgré ses missions accomplies et les 600 hommes tombés au combat, pourquoi qu'en guise de lauriers n'a-t-elle recueilli que l'oubli …?
Michel Sailla
ancien inspecteur régional
à la Direction Nationale du Renseignement et des Enquête Douanières
* Le brigadier Dogny est l'auteur d'un rapport qu'il a présente à Verdun le 16 septembre 1914, nous le publierons prochainement
** Grâce aux recherches effectuées par le responsable local du Souvenir Français, il a pu être identifié et sa sépulture
restaurée. Une cérémonie d'hommage lui a été rendue le 5 septembre 2007 (ECHO n° 24 de janvier 2008).